L’Amérique craint pour « son » ordre mondial
Un récent rapport du Service de recherche du Congrès américain (CRS) se penche sur le « Changement dans l’environnement international de sécurité et les potentielles implications pour la défense ». Les formules de prudence cachent à peine que, d’après le rapport, une mutation a bel et bien eu lieu, marquée par la « tactique du salami » (tranche après tranche) pratiquée par Pékin en Mer de Chine orientale et la « guerre hybride » menée par la Russie en Ukraine. Cette nouvelle donne sécuritaire se caractérise par « le renouvellement de la compétition entre les grandes puissances » et « la remise en cause de certains éléments de l’ordre mondial dominé par les Etats-Unis ».
Pour appuyer ce constat, le rapport cite longuement la nouvelle Stratégie militaire nationale américaine, publiée en juin. Y compris cet extraordinaire passage selon lequel « La
plupart des Etats aujourd’hui – au premier chef les Etats-Unis, leurs
alliés et leurs partenaires – soutiennent les institutions et les
processus établis pour éviter les conflits, respecter la souveraineté et
promouvoir les droits de l’homme ». Venant d’un pays qui ne cesse
de lancer des guerres au mépris à la fois du Conseil de sécurité et de
la souveraineté des Etats concernés, et qui s’est distingué dernièrement
par l’organisation d’un système de kidnapping et de torture clandestins
à l’échelle planétaire, l’affirmation a de quoi laisser perplexe.
Toujours est-il que la citation se poursuit : « Certains
Etats néanmoins tentent de réviser les aspects clé de l’ordre
international et agissent de manière qui menace nos intérêts nationaux ». Sur ce point, au moins, la Stratégie va
à l’essentiel. En effet, les Etats-Unis considèrent leurs intérêts
nationaux en péril du moment où leur suprématie absolue n’est plus
garantie. Le seul ordre acceptable est un ordre sans partage. Le même
que le rapport évoque avec nostalgie en parlant de la période
« unipolaire » de la post-Guerre froide.
Vu sous cet angle, l’émergence de ce qu’ils qualifiaient de peer competitor
(rival du même niveau) dans les années 90 est la pire chose qui puisse
leur arriver. Rappelons qu’à l’époque, aux yeux de beaucoup, cette
puissance en devenir, c’était l’Europe.[1]
D’où les mises en garde répétées à son encontre, pour l’empêcher de
prendre trop d’indépendance par rapport à Washington. Aujourd’hui, son
alignement semble acquis une fois pour toutes, à tel point que dans le
rapport du CRS elle n’entre même plus en ligne de compte.
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