« Brzezinski, Obama, l’islamisme et la Russie » (1ère partie), par Bruno Adrie


Le 25 août 2007, le candidat à la présidence des Etats-Unis Obama avait reçu le soutien du Docteur Zbigniew Brzezinski, contre la candidature d’Hillary Clinton au prétexte (officiel) que le fait d’avoir été première dame ne préparait pas à devenir présidente. Après deux mandats républicains qu’il avait fortement critiqués, ce docteur proche de David Rockefeller avait affirmé que l’Amérique avait besoin d’un nouveau visage et d’une nouvelle définition de son rôle dans le monde. L’Amérique d’Obama qu’on voyait poindre allait-elle donc respirer, rejeter les choix aberrants de l’orgueilleux et incompétent Donald Rumsfeld, qualifié de « désastre américain » par son biographe Andrew Cockburn, retirer ses troupes d’Afghanistan et d’Irak et remplacer ses invasions par un dialogue multilatéral avec les Rogue States, les Etats Voyous, qui refusent obstinément d’ouvrir leurs frontières aux forces de l’OTAN et leurs porte-monnaie au coup de vent démultiplicateurs des banques et des fonds d’investissement de Wall Street? Quelque chose dans le genre, semblait promettre cet apôtre du Manifest Destiny, en affirmant vouloir rencontrer les leaders iranien et vénézuélien devant l’ex-première dame qui, sans doute vexée par le traitement infériorisant que lui avait réservé le célèbre géopoliticien en la ravalant précisément au rang subalterne d’ex-première dame, l’avait qualifié de « naïf ». On pouvait croire, au moins, en passant et sans prendre parti, qu’il y avait un débat réel au sein du camp démocrate au sujet de la politique étrangère à adopter. Et on pouvait être certain que le climat n’était pas au beau fixe entre la démocrate hawkish et le vieil habitué des tours et détours de la diplomatie. Mais comment avait-elle pu le traiter de « naïf » ? Un homme comme lui…
Il s’avère que Zbigniew Brzezinski avait eu du flair en soutenant Obama. Ou bien savait-il, grâce ses amis du Center for a New American Security, que le jeune sénateur de l’Illinois deviendrait probablement président ? Nous n’aurons pas la réponse à cette question mais, ce qui est certain, c’est qu’avant même son élection, Obama s’est empressé de remercier le Doctor Brzezinski et a déclaré, pendant le discours sur l’Irak du 9 septembre 2007, qu’il ne pourrait jamais dire tout le bien qu’il pensait de sa contribution au pays. Pour compenser ce manque d’exhaustivité avoué en préambule, il s’est contenté de jeter à un public ému quelques éléments d’une carrière et d’un profil exemplaires : le Doctor avait aidé à l’élaboration des accords de Camp David qui avaient permis d’installer une paix durable entre Israël et certains de ses voisins, le Doctor avait pendant des décennies formé les spécialistes de la politique étrangère dans les deux partis, le Doctor était « un de nos plus universitaires les plus exceptionnels », il était « un de nos penseurs les plus exceptionnels », sans compter qu’il avait été « un ami exceptionnel », un homme dont il avait personnellement beaucoup appris et qui l’avait soutenu pendant sa campagne présidentielle. Sans doute pressé par le temps, le président Obama n’a pas pensé, alors, à mentionner un élément clef du tempérament de Brzezinski : sa franchise et son goût pour la vérité. Car il est vrai que le Doctor Brzezinski est un homme franc et vrai et sa franchise est une conséquence directe de la force du credo qui l’anime, un credo autrefois affirmé en ces termes par le néoconservateur Project for a New American Century : la domination du monde par l’Amérique est bonne pour l’Amérique et bonne pour le monde.
L’une des meilleure preuves – mais pas la seule – de la franchise du Dr. Brzezinski peut être trouvée dans un entretien reproduit dans le numéro du 15 janvier 1998 du magazine français Le Nouvel Observateur sous le titre : « Oui, la CIA est entrée en Afghanistan avant les Russes … », dans lequel le Doctor confirme les propos avancés par l’ancien directeur de la CIA Robert Gates dans ses Mémoires – le même Robert Gates qui, nommé par George Bush fils au Pentagone en 2006, y restera jusqu’en 2011 autant dire presque jusqu’à la fin du premier mandat d’Obama –, selon lesquels les services secrets étasuniens étaient entrés en Afghanistan bien avant la date admise par « l’histoire officielle » qui fait débuter cette « aide » dans le courant des années 80. Selon Brzezinski, qui sait de quoi il parle et qui n’était pas obligé d’en parler, « c’est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques ». Or les Russes étaient entrés dans le pays le 24 décembre 1979. Après avoir avoué cette manœuvre, le géopoliticien préféré d’Obama joue les fines gueules mais on comprend : « Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent ». Pas de complot donc mais la mise en place d’une action dans le seul but d’augmenter la probabilité de la réponse à cette action. Au journaliste qui, un peu joueur, lui demande s’il a des regrets, l’aimable professeur répond : « Regretter, pourquoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance :  Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam » et de conclure avec une désinvolture de cowboy surdoué et plein d’un bon sens partagé par tous : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? ». Selon le Doctor, ceux qui prétendent que « le fondamentalisme islamique représente aujourd’hui une menace mondiale » ne racontent que des « sottises ». Et d’ajouter : « Il n’y a pas d’islamisme global. Regardons l’Islam de manière rationnelle et non démagogique ou émotionnelle. C’est la première religion du monde avec 1,5 milliard de fidèles. Mais qu’y a-t-il de commun entre l’Arabie Saoudite fondamentaliste, le Maroc modéré, le Pakistan militariste, l’Egypte pro-occidentale ou l’Asie centrale sécularisée ? Rien de plus que ce qui unit les pays de la chrétienté ».


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